L‘Aube (July 10, 1946)
Deutschland gewache!
par Maurice Schumann
Si Adolf Hitler surgissait des ruines classées de la Wilhelmstrasse, il n’aurait pas à crier : « Allemagne, réveille-toi ! » Car l’Allemagne s’est déjà réveillée. La route est longue de Hambourg à Bayreuth. La similitude et la simultanéité des manifestations qui, des villes hanséatiques à la Bavière, viennent d’éclater pour l’étonnement des naïfs n’impliquent ni l’organisation ni la préméditation. Leurs auteurs ne sont pas dans les caves ni les maquis, mais dans les chancelleries et dans les conférences internationales. Car il n’est besoin d’aucun « loup-garou » pour insuffler à n’importe quel Allemand la double certitude qu’il est aujourd’hui le plus persécuté et qu’il sera demain le plus fuit, à partir du moment précis où ses vainqueurs déchirent leur victoire en se déchirant eux-mêmes et se disputent beaucoup moins les dépouilles du Reich que ses faveurs.
Un humoriste anglais, dans une étrange synthèse qui part de 1066 pour s’arrêter à nos jours, nous propose celte heureuse formule : « Nous n’avons jamais été vaincus, sauf pendant la guerre de ’Indépendance américaine. Encore l’unique raison en fut-elle que les Alliés étaient passés de l’autre côté. » Les Allemands sont totalement dépourvus d’humour. Mois le moindre d’entre eux, s’il n’est pas communiste, vous dira : « Battus ? Non pas ! Mais trahis, poignardés dans le dos, sinon – comme en 1918 – par les social-démocrates, les catholiques et les juifs, du moins par les pays dont nous étions l’avant-garde contre le bolchevisme et qui, bien loin de nous aider, nous ont forcés à leur faire la guerre par anticipation. » Le langage sera certes différent si l’interlocuteur est communiste. Mais il ne manquera pas de vous faire remarquer que, pour vaincre le Reich, il aura fallu la coalition du monde entier, à de négligeables exceptions près, el que, par conséquent, à mesure que cette coalition se distend ou se disloque, il y a maldonne et la défaite n’est plus valable.
Rien de tout cela n’était imprévu. Car l’Allemagne a toujours soin d’inclure dans la guerre présente la préparation de la guerre future. La preuve la plus éclatante en est aussi la plus terrible. Au cours du procès de Nuremberg, le commandant du camp d’Auschwitz a froidement confirmé l’authenticité de son témoignage, dont les « diplomates au grand cœur » – comme disait déjà François Mauriac en 1938 – feraient bien de relire les minutes tous les matins :
« J’estime, y déclare-t-il notamment, qu’au moins 2.500.000 victimes ont été exécutées au gaz et qu’au moins un demi-million d’autres pensionnaires du camp ont succombé à la faim et à la maladie. J’avais reçu l’ordre de munir Auschwitz de toutes les facilités d’extermination en juin 1941. Je visitai Treblinka pour voir comment on u procédait. Le commandant m’expliqua qu’il avait liquidé 80.000 prisonniers en moins de six mois. Il se servait de gaz monoxyde et il me sembla que ses méthodes n’étaient pas aussi efficaces qu’elles auraient pu l’être. Aussi je décidai d’utiliser de l’acide prussique cristallisé que nous versions dans la chambre mortuaire par un orifice étroit. Nous savions quand les victimes étaient mortes parce que leurs hurlements cessaient. Les enfants au-dessous de dix ans étaient invariablement exterminés. Très souvent, les femmes essayaient de cacher leurs enfants sous leurs vêtements, mais naturellement dès que nous nous en apercevions nous les leur arrachions pour les expédier à l’extermination. »
On aurait grand tort de s’indigner de ce « naturellement » plus que du reste. Il est, en effet, dans la logique de tout le système, où la cruauté et le sadisme jouent peut-être leur rôle, mais non pas le premier ni le principal. Il est, en effet, parfaitement « naturel » d’exterminer les enfants, quand on a décidé de prendre une assurance contre la défaite en faisant méthodiquement et froidement tout ce qu’il faut pour que, quoi qu’il arrive, APRÈS LA GUERRE L’ÉQUILIBRE DÉMOGRAPHIQUE NE SOIT PAS MODIFIE AU DÉTRIMENT DU GERMANISME. C’est sur un calcul de cet ordre que fut fonde l’État prussien quand, au début du XIIIe siècle, les Chevaliers Teutoniques « convertirent » la plèbe du Brandebourg en massacrant jusqu’au dernier des Slaves qui la peuplaient. Hitler a beau être, selon la formule de Jean Giraudoux, « le premier des Chevaliers Teutoniques qui n’ait jamais sonné la retraite », tout au moins depuis la victoire du roi de Pologne, Jagellon, à Tannenberg en 1410. Il n’en est pas moins demeuré, jusqu’au terme, rigoureusement fidèle à la tradition du seul État au monde qui, selon le raccourci saisissant de René Grousset dans son « Bilan de l’Histoire », « ne soit pas né de la terre ». Son testament assigne aux survivants le Drang nach Osten comme but, et le racisme comme moyen. Ainsi l’Ordre Teutonique, sécularisé dans les premières années du seizième siècle, survit à la fois « comme couvent et comme caserne ». Qu’importe que, pour commencer, ou plutôt pour recommencer, le couvent et la caserne soient des décombres ! L’un et l’autre vivent dans l’âme germanique, ou plutôt la constituent.
Message aux survivants, disions-mous. La formule doit être prise dans son sens littéral. Car Hitler avait au faire en sorte que la race survécût, et que la guerre planétaire n’eut pas modifié sa puissance relative. De 1939 à 1945, il n’est pas mort plus de 4 millions et demi d’Allemands, militaires et civils compris. Dans le seul camp d’Auschwitz, 3 millions au moins d’êtres humains furent exterminés. Il est donc certain que le nombre total des déportés et des prisonniers (on sait notamment que, pendant les deux premières années de la guerre germano-russe, tous les Russes capturés sur le champ de bataille furent lentement ou brutalement assassinés) dont le IIIe Reich organisa le massacre, dépasse très largement le nombre total des victimes allemandes de la guerre allemande. Tous les soldats européens tués dans le combat, tous les ressortissants des pays envahis massacrés chez eux, tous ceux que le fléau a fauchés d’une manière ou d’une autre, améliorent encore cette « balance des comptes », qui fut – n’en doutons pas – aussi méthodiquement dressée que le tableau comparatif des mérites respectifs du gaz monoxyde et de l’acide prussique cristallisé. Le résultat s’inscrit au bas de la page ; il y a autant d’Allemands n’ont pas encore d’armée, ils aujourd’hui qu’en 1937 ; et, s’ils ont déjà des partis pour les inciter à en vouloir une. Écoutez leurs discours, qui se ressemblent tous comme des frères ; aucun ne parle d’Auschwitz, de Buchenwald ou de Dachau, mais tous parlent de la Ruhr ; aucun ne parle de la liberté, mais tous parlent de l’unité.
Certes, il est vrai que sans la Ruhr et la Sarre, gans la Saxe et sans la Silésie, le mot d’ordre Ein Volk, Ein Reich, Ein heit ne fera pas surgir un Quatrième Reich. Mais il suffit à l’Allemagne d’être l’appoint d’un bloc de puissances contre un autre, pour jouer son propre jeu et arbitrer le conflit à son seul bénéfice.
Si les Alliés n’organisent par en Allemagne l’exploitation commune de leur commune victoire, demain plus un Allemand ne les reconnaîtra comme vainqueurs. Et si, par impossible, le procès de Nuremberg s’achève, devant la corde de Goering, le commandant du camp d’Auschwitz demandera, le plus « naturellement » du monde : « Pourquoi ? ».
The Evening Star (July 10, 1946)
War trial principles vital in U.N. system, Father Walsh holds
Basic principles embodied in the trial of German war criminals at Nuernberg should be recognized by the United Nations and worked into the ideological fabric of that organization, according to Dr. Edmund A. Walsh, vice president of Georgetown University and regent of the Georgetown School of Foreign Service, who since last August has been special consultant to the American staff at Nuernberg.
Just returned to this country, Father Walsh told a press conference here yesterday that the world must establish at Nuernberg:
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That no government can plead immunity to punishment for gross offenses on the ground it is a government.
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That civilization must respect religious freedom – “the right to conscience” – just as carefully as it must respect the right of property or any other right.
“I will go so far as to say,” the Jesuit educator declared, “that unless these two principles become part and parcel of the United Nations system there will be no hope for the success of that experiment or for peace.”
Father Walsh readily admitted the nations conducting the Nuernberg trial have jurisdiction only because they “took it – in the name of humanity.” He said some legal scholars are worried because of the lack of precedent for what the prosecution seeks to establish in the trial, but added he hoped that establishing a precedent at Nuernberg would enable the world to build a system of international law on a higher level in the future.
“The Nuernberg defendants,” he said, “are the legitimate descendants of the teachers who, over long years, built the German school of philosophy. This is the subjectivism of such men as Kant, Fichte, Hegel and Nietzsche. What Hitler did was to put this philosophy in arms.”
Having served as Nuernberg consultant in the field of religion, Father Walsh praised the U.S. government for its “firm and uncompromising stand in defense of religious liberty.” He told of traveling more than 35,000 miles in central Europe, interviewing persons persecuted by the Nazis because of their religious ideas. His investigations supplied material for the final brief on persecution of Christianity, which the United States presented to the tribunal.
A lifelong student of “geopolitics,” Father Walsh also advised the American delegation on that subject and himself conducted the preliminary examination of the Nazi geopolitical mentor, Prof. Karl Haushofer, which led to the tribunal’s decision to indict the German scholar.
Father Walsh said he was subsequently assigned to interrogating further the 76-year-old Nazi theorist, and that their discussions resulted in Prof. Haushofer’s action in writing his final appraisal of German geopolitical theory and where it went wrong. This was just before Prof. Haushofer and his wife committed suicide last March 10, Dr. Walsh said.