Address by French General de Gaulle on Victory over Germany (5-15-45)

Address by French General de Gaulle
May 15, 1945

Delivered before the French Consultative Assembly

La Victoire est aux dimensions de la guerre. L’Allemagne, entraînée jusqu’au fanatisme dans le rêve de la domination, avait fait en sorte que matériellement, politiquement, moralement, la lutte fût une lutte totale. Il fallait donc que la Victoire fût une Victoire totale, Cela est fait. En tant qu’État, en tant que puissance, en tant que doctrine, le Reich allemand est complètement détruit. Une fois de plus, il est En que pour un peuple, si résolu et puissant qu’il soit, l’ambition effrénée de dominer les autres peut arracher des succès plus ou moins éclatants et plus ou moins prolongés, mais que le terme est l’effondrement.

Alors qu’est à peine séchée l’encre de la capitulation en partie double de Reims et de Berlin, le jour n’est pas venu de s’étendre sur les péripéties du drame qui finit. Les dimensions mêmes des faits, a fortiori leurs conséquences, ne pourront se mesurer qu’avec le recul du temps. Une chose est certaine : la France a joué dans cette guerre son existence en tant que nation et jusqu’au destin physique et moral de chacun de ses enfants, mais elle a gagné la partie.

Que la France ait été exposée aux plus grands périls possibles, il n’en pouvait être autrement. Stratégiquement, les terres françaises devaient, de par la nature, jouer un rôle capital. C’est sur le sol de la France que fut d’abord scellée la victoire de l’ennemi. C’est sur le sol de la France que fut ensuite décidée sa défaite. Qu’on imagine ce qu’eût été le développement du conflit si la force allemande avait pu disposer des possessions françaises d’Afrique !

Au contraire, quelle fut l’importance de notre Afrique du Nord comme base de départ pour la libération de l’Europe ! Dans le domaine politique, il fallait que la France fût abattue pour que devint réalisable l’horrible projet allemand de transformer l’Europe en un Empire formé de maîtres et d’esclaves. De fait, Paris une fois pris, l’Italie et l’Espagne se trouvaient décidément entraînées dans l’orbite de la corruption. Les Balkans étaient à merci et il devenait possible de tenter de détruire la Russie. Au point de vue moral, enfin, il dépendait du choix de la France que les monstrueuses conceptions qui inspiraient le dynamisme, l’organisation, les procédés du national-socialisme prissent le caractère de doctrine universelle ou restassent bloquées à l’étage dégradant du crime et de l’oppression. En vérité, cette conjonction de facteurs géographiques, matériels, spirituels, qui a fait de la France ce qu’elle est, la vouait dans le déchirement du monde à rester en vedette des événements et à courir d’insignes dangers.

Eh bien ! ni le malheur militaire, ni la faillite des institutions, ni le mensonge, ni la violence n’ont pu faire taire l’instinct national, ni détourner notre peuple de son éternelle vocation. Dès le 3 septembre 1939, nous avons tiré l’épée, seuls avec l’Angleterre pour défendre le droit violé sous les espèces de la Pologne. Nous connaissions pourtant la disproportion des forces Nous mesurions l’affaiblissement relatif que nous avaient causé les pertes immenses, non réparées et non compensées, de la précédente guerre. Nous n’ignorions rien de l’état de dispersion mortelle où se trouvaient les démocraties. Nous savions bien n’avoir à compter que sur des concours limités très étroitement. Nous n’avions contre l’irruption de Ia force mécanique allemande aucune protection naturelle. Il ne nous manquait de la part de l’ennemi aucune de ces assurances, promesses et propositions, ni, chez nous, aucune de ces doctrines de renoncement qui eussent pu nous engager au repliement et à la neutralité. Pourtant, nous n’avons pas attendu d’être attaqués et envahis pour prendre délibérément le plus grand risque de notre histoire. Nous l’avons fait sans passion de conquêtes, sans fureur de revanche, sans affolement de vanité, Nous l’avons fait parce que nous avons répondu À la loi éternelle qui fait de nous l’avant-garde d’une civilisation fondée sur le droit des peuples et le respect de la personne humaine.

Cependant, la foudroyante surprise infligée par la force mécanique allemande À notre système militaire, l’impuissance d’un régime politique inadéquat aux grandes épreuves, l’avènement de l’abandon sous l’équivoque d’une gloire sénile, précipitaient la France dans les ténèbres de l’oppression. Dans un tel anéantissement ii ne lui restait plus, pour combattre et pour vaincre, que les forces profondes et spontanées de son peuple. Il s’agissait de savoir si, à partir de rien, avant contre elle non seulement l’ennemi avec ses pompes et ses œuvres, mais encore toute l’autorité usurpée, certes, mais peinte aux couleurs de la loi, elle verrait, ou non, sourdre de ses entrailles une source capable de la maintenir dans la lutte et de refaire, au fond de l’abîme, l’État, la force, l’unité nationale. En vingt siècles d’une existence traversée par d’immenses douleurs, la patrie n’avait jamais connu une situation semblable.

L’effort fut entrepris dans Îles conditions voulues pour qu’il n’y eût pas d’interruption dans In belligérance française, Il fut tel que ceux qui y prirent part n’ont jamais – non, pas un seul instant – cessé de ressentir cette conviction ardente, inlassable, lumineuse, qui surmonte tous les obstacles et que seule peut inspirer l’âme même de la patrie, Mais, pour que le but fût atteint, il fallait que l’effort fût de bout en bout, non point du tout le concours dispersé qu’apporteraient des groupes de Français à la lutte livrée par diverses puissances, mais bien une action nationale, unique, indépendante, souveraine, embrassant à la fois le dedans et le dehors, élevée au-dessus de toute tendance particulière, de tout clan, de tout parti, n’admettant d’autres lois que celles que le pays s’était à lui-même données, ne composant à aucun degré et vis-à-vis de personne avec les droits, les intérêts, l’autorité de l’État, et rassemblant à mesure des événements tous les citoyens, toutes les forces, toutes les terres.

Il le fallait pour qu’à Ia fin la France fût debout, menant un seul combat, avec une seule épée, un seul territoire, une seule justice et une seule loi, Je ne doute pas que cette rigueur obstinément centralisatrice ait paru lourde à tels ou tels groupes que le goût du centrifuge portait aux actions parallèles c’est-à-dire, en fait, séparées. Je sais que tel ou tel allié a pu maintes fois s’offusquer de cette inflexibilité d’indépendance et de souveraineté. Mais il fallait, il fallait, à tout prix que notre effort fût indivisé pour que la France restât indivisible. Et quand nos généraux reçurent à Reims et à Berlin, avec leurs camarades américains, soviétiques et britanniques la reddition sans Conditions du Reich et de ses armées, c’est bien devant la France, aussi, que l’Allemagne a capitulé.

Cependant, le seul chemin qui pût nous mener-là était le chemin des batailles.

Qu’on se rappelle les faits d’armés par quoi des unités héroïques et dont le mérite et la gloire sont parmi les plus grands de notre histoire militaire, ont, seules, porté en Érythrée, en Libye, en Orient, au Fezzan, sur toutes les mers et dans tous les ciels, l’honneur des armes de la France et relié ainsi le passé avec l’avenir ! Qu’on pense aux grands combats de Tunisie et d’Italie où nos armées renaissantes jouaient, au milieu de celles des Etats-Unis et de l’Empire britannique, un rôle glorieux et efficace. Qu’on songe à gigantesque bataille de France, durant laquelle nos forces ne cessèrent pas de frapper chaque jour plus fort que la veille, soit qu’elles vinssent de l’Empire, noblement, consciemment fidèles, pour briser, côte à côte avec nos alliés, toutes les défenses allemandes depuis la Méditerranée ou la Manche jusqu’au Rhin, soit qu’elles eussent été secrètement formées à l’intérieur de la métropole, afin de paralyser par mille actions de détail tout l’ensemble des communications ennemies.

Qu’on se représente la ruée finale et victorieuse où nos armées, définitivement soudées, chassèrent devant elles au cœur de l’Allemagne, puis en pleine Autriche, l’adversaire en déroute, ou bien forcèrent contre l’Allemand les passages fortifiés des Alpes, ou bien firent capituler l’ennemi retranché tout le long de la côte atlantique.

Il est vrai qu’à chaque pas de la route vers la victoire l’exemple de ceux qui tombaient venait exalter les vivants.

Soldats tombés dans les déserts, les montagnes ou les plaines, marins noyés que bercent pour toujours les vagues de l’océan, aviateurs précipités du ciel pour être brisés sur la terre, combattants de la résistance tués aux maquis et aux poteaux d’exécution, vous tous qui à votre dernier souffle avez mêlé le nom de la France, c’est vous qui avez exalté les courages, sanctifié l’effort, cimenté les résolutions. Vous fûtes les inspirateurs de tous ceux et de toutes celles qui par leurs actes, leur dévouement, leurs sacrifices ont triomphé du désespoir et lutté pour la patrie, Vous avez pris la tête de l’immense et magnifique cohorte des fils et des filles de la France, qui ont, dans les épreuves, attesté sa grandeur ou bien sous les rafales qui balayaient les champs de bataille, ou bien dans l’angoisse des cachots, ou bien au plus fort des tortures des camps de déportation.

Mais s’il est vrai que nous pouvons Maintenant regarder sans baisser la tête IR route que nous venons de suivre, nous avons acquis assez complètement et depuis assez longtemps l’expérience de la Victoire pour ne point nous laisser éblouir par celle-ci. Si dans une guerre qui commença par un désastre effrayant, la France est parvenue à l’emporter côte à côte avec ses puissants alliés, elle n’en mesure pas moins avec une lucidité entière toute la profondeur de l’abîme dont elle sort, toutes les fautes amères, les siennes et celles des autres, qui l’y avaient précipitée, tous les hasards exceptionnels qui l’en ont à la fin tirée. La nation voit les choses telles qu’elles sont. Elle sait d’abord que, pour que justice soit faite à l’univers, le Japon, à son tour, doit être abattu et elle veut contribuer à cet achèvement par les armes. Jetant les yeux sur le passé, elle voit ce que lui ont coûté ses illusions, ses divisions, ses faiblesses. Regardant le présent, elle mesure les atteintes qu’a subies sa puissance. Se tournant vers l’avenir, elle discerne le long et dur effort qui seul peut la rendre assez forte, fraternelle et nombreuse pour assurer son destin dans un monde en pleine gestation, et par là-même lui permettre de jouer pour le bien de l’humanité un rôle dont il est trop clair que l’univers ne se passerait pas. En un mot, le terme de la guerre n’est pas un aboutissement. Pour la Quatrième République, il n’est qu’un point de départ. En avant donc pour l’immense devoir de travail, d’unité, de rénovation !

Que notre nouvelle Victoire marque donc notre nouvel essor ! Vive la France ! Vive la République ! Vive la Résistance !